Le COVID-19 révolutionne la télémédecine… provisoirement ?

Les règles de confinement imposées par le décret du 23 mars 2020 interdisent aux Français tout déplacement hors de leurs domiciles, sauf exceptions parmi lesquelles figurent les « déplacements pour motif de santé à l’exception des consultations et soins pouvant être assurés à distance et, sauf pour les patients atteints d’une affection de longue durée, de ceux qui peuvent être différés » (qui concernent les patients) et les « trajets entre le domicile et le ou les lieux d’exercice de l’activité professionnelle et déplacements professionnels insusceptibles d’être différé », qui concernent les professionnels de santé.

Dans ce contexte, et compte tenu de la contagiosité du virus SARS-Cov-2 à l’origine du COVID-19, le recours à la télémédecine connaît un regain d’intérêt. Dès le 19 mars 2020, soit trois jours après le début du confinement, l’arrêté du 14 mars 2020 portant diverses mesures relatives à la lutte contre la propagation du virus covid-19 a été modifié et un chapitre 4 ter « Mesures concernant la télésanté » a été introduit.

Ces mesures sont tout simplement révolutionnaires.

 

Télémédecine : la longue route

La télémédecine avait été introduite dans le Code de la Santé publique par la loi HPST du 21 juillet 2009. Aujourd’hui, il est admis que cet outil utilisant les technologies de l’information et de la communication permet d’établir un diagnostic, d’assurer un suivi à visée préventive ou un suivi post-thérapeutique pour un patient à risque, de requérir un avis spécialisé, de préparer une décision thérapeutique, de réaliser une prescription ou même des actes, ou d’effectuer une surveillance à distance. Le spectre est donc particulièrement large.

La télémédecine est complétée par le télésoin, qui concerne les pharmaciens ou les auxiliaires médicaux. Ensemble, ces deux pratiques constituent la télésanté.

Les actes de télémédecine sont définis par voie règlementaire. On distingue la téléconsultation (consultation à distance), la téléexpertise, qui permet à un professionnel de santé de solliciter à distance l’avis d’un de ses confrères, la télésurveillance médicale (interprétation à distance de données médicales) et la téléassistance médicale (assistance à distance de professionnels entre eux), ou encore la réponse médicale dans le cadre de la permanence des soins ou des services d’aide médicale urgente.

En revanche, il a fallu attendre septembre 2018 (avenant 6 à la convention médicale) pour que la prise en charge des par l’assurance maladie des actes de téléconsultation soit garantie.

 

COVID-19 : une révolution dans l’urgence

Pour assurer la prise en charge par télésanté des patients « suspectés d’infection ou reconnus covid-19 », l’article 7 quater de l’arrêté du 14 mars 2020 rappelle que les professionnels de santé recourent à des outils numériques respectant la règlementation existante (sécurité des systèmes d’information, hébergement des données), « ou, pour faire face à la crise sanitaire, à tout autre outil numérique ».

Treize mots qui bouleversent le droit et la pratique de la télésanté.

En outre, dès le 9 mars, un décret adaptait les conditions du bénéfice des prestations en espèces d’assurance maladie et de prise en charge des actes de télémédecine pour les personnes exposées au covid-19 et permettait, pour les patients reconnus ou suspectés de COVID-19, de déroger aux dispositions conventionnelles s’agissant du parcours de soins coordonné « et de la connaissance préalable du patient nécessaire à la facturation des actes de téléconsultation lorsque le patient n’est pas en mesure de bénéficier d’une téléconsultation dans les conditions de droit commun ». Il est précisé qu’en pareil cas, « la téléconsultation s’inscrit prioritairement dans le cadre d’organisations territoriales coordonnées ». Toutefois, à n’en point douter, cette priorité est largement battue en brèche par les dispositions qui ont suivi.

Le Ministère de la Santé avait anticipé la publication de l’arrêté et, dès le 18 mars, une fiche a été publiée pour faciliter le recours à la téléconsultation par des médecins dans le cadre de l’épidémie de coronavirus.

Cette fiche pratique encadre les médecins avec les indications suivantes, uniquement cantonnées aux patients atteints par le COVID-19 ou aux cas possibles (« toute personne présentant des signes cliniques d’infection respiratoire aiguë avec une fièvre ou une sensation de fièvre ») :

  • Les téléconsultations sans échanges de documents médicaux peuvent se faire « sans être équipé d’une solution spécifique de téléconsultation», avec une simple solution d’échange vidéo type Skype®, WhatsApp® ou FaceTime®.
  • Le tarif de la téléconsultation est équivalent au tarif de la consultation présentielle.
  • Le médecin effectue uniquement une transmission de la feuille de soins à l’assurance maladie obligatoire, et il est fortement préconisé de proposer le tiers payant aux patients.

S’agissant de la transmission des ordonnances, et c’est proprement révolutionnaire, elle doit se faire directement vers le pharmacien choisi par le patient via une messagerie sécurisée de santé ou dans le dossier patient dans le cas d’une solution de téléconsultation.

Mais, et il s’agit d’un changement radical, le ministère précise : « À défaut, vous pouvez proposer de transmettre directement l’ordonnance au patient par voie postale ou messagerie ». L’envoi par exemple de l’ordonnance au patient via une photographie envoyée par WhatsApp est donc permise, ce qui constitue une dérogation majeure et sans précédent aux règles régissant le transfert des données de santé.

Compte tenu du caractère sensible des données, il est toutefois préférable, même si le Ministère ne le mentionne pas expressément, d’envoyer directement l’ordonnance du pharmacien désigné par le patient et non à celui-ci, même si aucune messagerie sécurisée n’est disponible.

 

Les droits du patient demeurent

La crise sanitaire ne permet pas de déroger aux droits des patients. En effet, les actes de télémédecine doivent toujours être réalisés avec le consentement libre et éclairé du patient. Les actes doivent être réalisés dans des conditions garantissant l’authentification des professionnels de santé, celle du patient (qui doit être distinguée de la connaissance du patient telle que prévue par la convention), et l’accès du professionnel de santé aux données médicales du patient nécessaires à la réalisation de l’acte. Enfin, la téléconsultation est obligatoirement réalisée par vidéotransmission, « et dans des conditions d’équipement, d’accompagnement et d’organisation adaptées aux situations cliniques des patients permettant de garantir la réalisation d’une consultation de qualité ».

Elle doit être réalisée « dans des lieux permettant la confidentialité des échanges entre le patient et le médecin consultant », ce qui plaide pour le maintien du professionnel de santé au sein de ses locaux professionnels.

Il est permis de se demander, s’agissant de ces dernières règles vieilles de 10 ans, comment elles peuvent être applicables au sein de la dérogation liée à la crise sanitaire. Dans le cas de l’utilisation d’une application sur un smartphone, il serait possible de passer initialement par le secrétariat du cabinet médical, qui communiquerait ainsi le numéro de téléphone du médecin, et permettrait ainsi l’authentification. En revanche, l’authentification certaine du patient paraît impossible, ou faut-il lui demander de montrer une carte vitale à distance ?

 

Les règles devant être suivies par les professionnels de santé

Même dans le cas de l’exception COVID-19, les professionnels de santé doivent tenir à jour le dossier du patient en y inscrivant notamment le compte-rendu de l’acte.

Les règles prudentielles, et notamment celles relatives à l’identification du patient, doivent être respectées. Enfin, il convient de rappeler que seuls les patients atteints ou suspectés de la maladie COVID-19 sont concernés par ces assouplissements, ce qui est d’ailleurs paradoxal si l’on se souvient que cette maladie est caractérisée par le grand nombre de porteurs sains et sans symptômes.

Naturellement, les professionnels de santé veilleront à prévenir leur assurance professionnelle qu’ils pratiquent maintenant la médecine à distance dans le cadre de l’exception liée à la crise sanitaire. En effet, il est à craindre, lorsque la vague sera passée, que le retour à la normale n’engendre aussi un retour des vieux réflexes relatifs à la responsabilité de chacun, et que l’état de nécessité ainsi que le contexte soient vite oubliés.

 

Quelles suites ?

Le monde ne sera plus jamais comme avant et la télémédecine non plus. Rappelons une fois encore que ces règles dérogatoires sont provisoires et intimement liées à la crise sanitaire. Celle-ci passée, elles disparaîtront.

En revanche, il est certain que cette initiation urgente, forcée et généralisée des médecins et des patients à la télémédecine laissera des traces. Cette dramatique crise sanitaire aura eu, parmi ses multiples effets, celle de faire faire un pas de géant à la pratique de la télémédecine. Les patients y prendront goût, les praticiens aussi. Les autorités sanitaires ne l’oublieront pas non plus, et la télémédecine s’imposera à l’avenir comme un outil majeur dans la résolution des crises sanitaires à venir.

 

Christophe Courage