Imaginons une procédure prud’homale dans laquelle les représentants de l’employeur prendraient place sur un siège placé auprès des Conseillers prud’homaux, où le droit à un procès équitable de l’article 6§1 CEDH serait inapplicable, et où le secrétariat de la juridiction serait assuré par l’employeur : ne songerait-on pas à réformer ces règles procédurales?
Hélas, en matière de licenciement pour insuffisance professionnelle des agents publics territoriaux, la procédure se déroule d’une manière similaire.
L’article 93 du statut général indique que « le licenciement pour insuffisance professionnelle est prononcé après observation de la procédure prévue en matière disciplinaire« .
L’agent dont le licenciement est envisagé doit donc passer devant le Conseil de discipline. Mais les garanties procédurales sont loin d’être satisfaisantes. Certes, le conseil de discipline n’est pas une juridiction et les Tribunaux (TA Paris 26 février 2013 n°1122735/5-4) se fondent sur cette raison considérée comme excellente pour écarter l’application de l’article 6§1 CEDH. Toutefois, des similitudes existent (le conseil est ainsi présidé par un magistrat de l’ordre administratif). En outre, la pratique montre que cette étape de la procédure pouvant conduire au licenciement de l’agent est capitale. C’est sur le fondement de l’avis rendu par cette instance que l’autorité territoriale va prendre sa décision, et cet avis n’est pas en lui-même susceptible de recours. Il est pourtant la plupart du temps suivi par l’autorité territoriale.
Il y a donc lieu de s’interroger sur un certain nombres de pratiques inquiétantes pour les droits de la défense :
– Lorsque la collectivité n’est pas affilée au CIG, le secrétariat du Conseil de discipline est assuré par l’employeur public, qui a la charge de faire parvenir aux membres du Conseil la copie des observations écrites et des pièces produites par l’agent. La collectivité étant la partie adverse de l’agent dans cette procédure, ce mélange des rôles n’est pas sain.
– En conséquence, lorsque l’employeur public souhaite faire entendre des témoins, l’agent n’est prévenu que le jour de la réunion du conseil de discipline. En revanche, la collectivité sait quels témoins l’agent va faire intervenir dans la mesure où elle assure le secrétariat. Le principe de l’égalité des armes n’est pas respecté, d’autant plus que les témoins produits sont souvent des agents occupant une position de supérieur hiérarchique de l’agent dont le licenciement est envisagé, et dont la parole, en conséquence, va faire autorité.
– Il est fréquent que la collectivité soit représentée par plusieurs personnes, alors que l’agent est seul, avec parfois un avocat. La pratique montre également que les représentants de la collectivité sont placés, physiquement, lors du déroulé du conseil, aux côtés du Président de séance, lequel est, encore une fois, un magistrat de l’ordre administratif. Cet emplacement est à la fois troublant et révélateur : les représentants de l’employeur public, qui n’assistent pas au délibéré et ne votent pas, prennent place parmi ceux qui vont voter pour rendre l’avis.
Dès lors, le Conseil de discipline peut faire l’effet non d’une instance qui examine sereinement et d’une manière impartiale la manière de servir d’un agent, mais d’une instance déséquilibrée au sein de laquelle l’agent n’est pas suffisamment protégé. Ce n’est heureusement pas toujours le cas et nombre de membres de ces conseils ont une conception du service public telle que la compétence de l’agent peut alors être appréciée sans partialité, mais les règles procédurales imparfaites font parfois figure non de rempart mais de pis-aller.
Cette situation, qui appelle à une réforme, est dommageable tant pour les agents que pour les collectivités, car les décision de licenciement prises dans des conditions non satisfaisantes sont parfois annulées par le juge administratif. La collectivité perd alors sa crédibilité en devant réintégrer l’agent évincé.